Ville d’environ 1,3 million d’habitants située à l’est de la République démocratique du Congo (RDC), Bukavu est confrontée à des défis importants et complexes liés à la gouvernance, à la décentralisation, à l’urbanisation et à la gestion des ressources. La croissance rapide de la population, qui devrait doubler d’ici 2030 et tripler d’ici 2050, ne fait qu’exacerber les problèmes rencontrés par les habitants de la ville, en particulier ceux qui vivent dans des bidonvilles.
Dans un nouveau rapport de l’ACRC, Emery Mushagalusa Mudinga, Aymar Nyenyezi Bisoka et Philippe Mulumeoderhwa Kaganda examinent comment la politique et les systèmes urbains influencent et sont influencés par les défis du développement urbain à Bukavu dans divers domaines.
Menées entre 2022 et 2023, la recherche et l’analyse ne couvrent pas les faits nouveaux à Bukavu depuis que la ville est tombée sous le contrôle des rebelles de l’Alliance Fleuve Congo/Mouvement du 23 Mars (AFC/M23) en février 2025. Cette nouvelle évolution du contexte politique pourrait faire l’objet d’études futures.
L’héritage de la colonisation et des conflits
Divisée en trois subdivisions administratives, appelées communes, et en 20 quartiers, Bukavu était un modèle de ségrégation urbaine dans les années 1950 à la suite de la colonisation belge et comportait des zones séparées pour les résidents blancs et noirs. Lorsqu’en 1960 la RDC accéda à son indépendance, l’évolution de la composition raciale de la ville fut accompagnée d’une détérioration urbaine progressive, accélérée par un afflux de réfugiés du génocide rwandais en 1994.
L’insécurité rurale associée aux opportunités économiques liées aux ressources minières a alimenté la croissance démographique, la construction de bidonvilles et la détérioration des conditions de vie dans la ville. Hormis le centre-ville, tous les quartiers de Bukavu et les zones environnantes abritent des populations à faibles revenus et défavorisées.
Comprendre la politique locale et nationale
Sur le plan politique, malgré la stabilité nationale depuis 2006, la gouvernance locale à Bukavu avant février 2025 reste marquée par le clientélisme et l’inefficacité. La décentralisation a été mise en œuvre en 2016 afin de fournir aux provinces les ressources nécessaires à une gestion efficace, mais ces efforts ont été entravés par les faibles taux de mise en œuvre des budgets provinciaux et les disparités au niveau de la répartition des ressources. Malgré la mise en œuvre de certaines initiatives visant à améliorer les conditions de vie et à légitimer l’État après 2019, les problèmes de gouvernance, de corruption et de gestion des ressources publiques persistent.
En tant que chef-lieu de la province du Sud Kivu, Bukavu a joué un rôle essentiel au niveau de l’arrangement politique national en raison de son rôle de centre de mobilisation politique. La dynamique du pouvoir dans la ville était marquée par des divisions ethniques, politiques, géographiques et professionnelles ; les élites locales étant en mesure d’influencer les négociations politiques au niveau central.
Relever des défis systémiques complexes
Bukavu est structurée en trois zones (le centre-ville, les quartiers populaires et les bidonvilles) et son urbanisation a largement dépassé les prévisions du plan de développement de 1957. Cette situation a entraîné une surpopulation et une utilisation inefficace des sols, avec un système de transport entravé par le mauvais état des routes et des infrastructures d’eau et d’énergie inadaptées à la population croissante de la ville. Les problèmes de violence urbaine et autres problèmes de sécurité touchent principalement les habitants des zones les moins développées. L’insécurité alimentaire est également élevée, plus de deux ménages sur cinq n’ayant pas accès à une alimentation saine.
L’incapacité des autorités municipales à gérer les systèmes de la ville a conduit de nombreux acteurs non étatiques, y compris des ONG, des leaders locaux et le secteur privé, à jouer un rôle croissant dans la fourniture des services essentiels, tels que l’eau, l’hygiène et l’assainissement, la sécurité et les transports. Cependant, cette multiplicité d’acteurs a également été source de confusion et de concurrence, sans pour autant améliorer le fonctionnement de ces services.
Nos études sur le développement urbain menées à Bukavu ont permis de dégager les principales conclusions suivantes :
La terre et la connectivité
La croissance démographique, largement alimentée par l’exode rural, a entraîné une augmentation de la demande de logements et de parcelles. La ville étant confinée dans une zone de seulement 60 km2, cela a conduit à la fragmentation des parcelles dans le centre et à la périphérie de la ville ainsi qu’à l’occupation par les habitants des zones rurales de terrains impropres à la construction. Les autorités ont créé de nouveaux quartiers pour tenter d’y remédier, mais sans développer ensuite les infrastructures adéquates, donnant ainsi lieu à un paysage urbain désordonné.
L’étude identifie huit défis majeurs dans ce domaine : la promiscuité de l’habitat dans les quartiers populaires ; la vulnérabilité des ménages à faible revenu face à la surenchère des prix de la terre et du loyer ; l’installation de plus de 60 % de la population sur des sites impropres à la construction (exposés aux risques d’affaissement, d’érosion et d’inondations) ; l’insécurité foncière ; les conflits liés à l’accaparement de la terre ; la mauvaise gestion préjudiciable des revenus fonciers ; l’obstruction ou l’inexistence de routes dans certains quartiers ; et l’enclavement de la ville, causée par un mauvais état des routes.
La sécurité et la sûreté
De nombreux facteurs ont contribué à l’insécurité de Bukavu au cours des dernières décennies, dont l’afflux de réfugiés à la suite du génocide de 1994 au Rwanda, la surpopulation résultant de l’exode rural, la persistance de groupes armés, l’émergence des groupes de sécurité locaux informels, l’insuffisance des salaires et les taux de chômage élevés, pour n’en citer que quelques-uns. La capacité et les moyens limités des forces de sécurité officielles, ainsi que les problèmes liés à l’utilisation des terres (comme les constructions anarchiques et la dégradation des infrastructures) ont également contribué à cette insécurité omniprésente.
Les quartiers situés dans les zones surpeuplées et sous-développées de Bukavu se sont révélés les plus touchés, l’insécurité y prenant généralement la forme d’une criminalité urbaine. Les lieux publics, y compris les marchés et les grandes places publiques, sont également des lieux d’insécurité permanente ou sporadique dans la ville. Si des associations locales de sécurité ont vu le jour dans certaines régions pour contribuer à résoudre ces problèmes, leur succès dépend de leur légitimité, de la couverture d’une zone géographique restreinte, du soutien matériel et financier des habitants et de l’efficacité de leurs dirigeants.
La santé, le bien-être et la nutrition
La détérioration continue des chaînes d’approvisionnement alimentaire a rendu difficile l’accès des habitants de Bukavu à une alimentation saine, en particulier pour les groupes vulnérables. Pas moins de 43 % des ménages de la ville étaient en situation d’insécurité alimentaire, principalement dans la commune d’Ibanda, où de nombreuses familles vivent dans la pauvreté et n’ont pas les moyens de se procurer une nourriture suffisante et saine. L’accès à l’eau potable fait également cruellement défaut.
Le coût élevé et l’accès limité à des produits alimentaires sains et de qualité ont entraîné une augmentation de la consommation d’aliments hautement transformés. Riches en graisses et en sucre, ces aliments transformés augmentent la prévalence des maladies non transmissibles, telles que l’obésité, le diabète et l’hypertension. La malnutrition des enfants, des femmes enceintes et des mères allaitantes constitue également un grave problème de santé publique.
Header photo credit: Action pour la Paix et la Concorde (APC).
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